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Voilà ce qui attend Guy Philippe en Haïti après sa libération

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L’ancien élu de la Grand’Anse a encore des ambitions politiques pour Haïti, mais des spécialistes estiment qu’il ne pourra pas occuper des fonctions électives ni nominatives à cause de son passé

Quel sera le statut de Guy Philippe au pays après avoir purgé sa peine aux États-Unis ? Telle est la question qui taraude l’esprit de la plupart des gens en Haïti. 

Condamné en 2017 à neuf ans de prison aux USA pour blanchiment d’argent provenant de trafic de drogues, l’ancien sénateur élu de la Grand’Anse a déjà purgé cinq ans et neuf mois de sa peine.

«Après son incarcération, Guy Philippe retournera en Haïti avec son statut de citoyen haïtien libre ayant déjà purgé sa peine en pays étranger», fait savoir le sénateur Patrice Dumont.

«Il sera peut-être retenu à la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ), le temps pour constituer son casier judiciaire et par la suite il sera libre», renchérit Me Frantz Gabriel Nerette, spécialiste en droit pénal.

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Un tel cas avait déjà été produit en 2015 avec Jacques Beaudouin Kétant qui avait purgé sa peine aux USA pour trafic de drogue. De retour au pays, il avait été conduit à la DCPJ pour des formalités administratives, et relâché par la suite.

Néanmoins, l’ancien opposant au pouvoir Lavalas pourra être poursuivi à moins que la justice haïtienne ait d’autres faits à lui reprocher, précise l’homme de loi. Il souligne toutefois que suivant le principe non bis in idem, la justice haïtienne ne pourra pas le poursuivre pour les mêmes faits qu’il a été condamné aux États-Unis.

Le principe de non bis in idem empêche à un individu d’être puni une deuxième fois pour les mêmes faits. Toutefois, remarque Me Nerette, si Guy Philippe avait des dossiers concernant d’autres infractions pendantes devant la justice haïtienne, il risque d’être poursuivi pour ces faits dès son retour au pays.

La justice haïtienne ne pourra pas le poursuivre pour les mêmes faits qu’il a été condamné aux États-Unis.

Les faits les plus récents reprochés à Guy Philippe en Haïti remontent à 2016.  À l’époque, il avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour une agression mortelle contre un commissariat de la Police nationale d’Haïti (PNH) aux Cayes. Les enquêteurs de la police avaient recommandé au chef du Parquet des Cayes de lancer des mandats d’amener contre lui et une vingtaine d’autres individus soupçonnés d’implication dans le forfait.

Quoique incarcéré, Guy Philippe a d’énormes ambitions politiques pour son pays. Il souhaite grandement présenter sa candidature aux prochaines élections en Haïti. En effet, le 15 décembre dernier il a déclaré sur les réseaux sociaux depuis sa cellule au  pénitencier fédéral d’Atlanta en Géorgie, son intention de revenir sur la scène politique en Haïti après avoir purgé sa peine aux États-Unis.

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C’est ce qui explique hâtivement ses multiples démarches pour obtenir une libération anticipée à travers une requête introduite auprès de la justice américaine pour bonne conduite. Cette demande a été révoquée dans une décision de justice prise le 21 novembre dernier.

La volonté de l’ancien chef rebelle contre le pouvoir Aristide d’être actif sur la scène politique est une initiative quasi impossible, selon les spécialistes.

Les faits les plus récents reprochés à Guy Philippe en Haïti remontent à 2016. 

«De retour en Haïti, l’ancien élu de la Grand’Anse pourra toujours militer dans une structure politique, mais ne pourra pas occuper les postes électifs ni nominatifs dans le pays », déclare un juge qui requiert l’anonymat par rapport à sa fonction occupée au sein du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ).

Il se réfère à la constitution amendée du 29 mars 1987 pour appuyer son point de vue.  L’une des conditions sine qua non, dit-il, est que la personne ne doit jamais avoir été condamnée à une peine afflictive et infamante.

«Sa participation à la politique sera très limitée, car il ne pourra pas occuper des postes décisionnels», ajoute la source. Cependant, Me Frantz Gabriel Nerette croit qu’il y a des éléments de technicité à considérer dans la question.

Sa participation à la politique sera très limitée, car il ne pourra pas occuper des postes décisionnels.

En cas où les documents du jugement international de Guy Philippe n’auraient pas été transférés aux autorités haïtiennes pour constituer son casier judiciaire en Haïti, le jugement international ne serait qu’un simple élément prononcé par la clameur publique, estime Me Nerette.

Dans le cas contraire, dit l’avocat pénaliste, le système judiciaire haïtien ne sera pas en mesure de produire un certificat négatif concernant le casier judiciaire de Guy Philippe. La justice haïtienne serait obligée de reconnaître, après recherches, qu’elle n’a rien trouvé du point de vue national à lui reprocher.

Aussi, il y a une sérieuse possibilité que Guy Philippe se présente avec un casier judiciaire vierge s’il décide [en cas de libération] de poser sa candidature dans les prochaines élections en Haïti, souligne Me Frantz Gabriel.

Le casier judiciaire est d’abord territorial.

Selon lui, le casier judiciaire est d’abord territorial. L’individu peut ne pas être un délinquant dans la juridiction qu’il souhaite participer aux élections, mais il l’est donc pour une autre.

Ces questions devraient être traitées à la DCPJ dès le retour de Guy Philippe en Haïti, remarque Me Frantz Gabriel.

Élu sénateur de la Grand’Anse lors des élections de 2016, l’ex soldat des Forces armées d’Haïti (FAD’H) a été arrêté le 5 Janvier 2017, quelques heures après avoir retiré son certificat au Conseil Électoral Provisoire de l’époque.

Récemment, il avait entrepris des démarches pour obtenir de l’État haïtien la  compensation de six ans de son mandat. Guy Philippe n’aura jamais gain de cause, selon le sénateur Patrice Dumont.

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«Un vainqueur proclamé à une élection sénatoriale ne devient sénateur que lorsqu’il passe l’épreuve de la validation des pouvoirs et la prestation de serment telles que disposent les  articles 9, 10, 10.1 et 11 du règlement intérieur du Sénat », justifie-t-il.

Cette loi date de 1933 et a été révisée huit fois au Sénat de la République. Sa dernière révision remonte à novembre 2008.

Photo de couverture : Guy Philippe, dans une interview avec Gilbert et Nicole Balavoine en février 2013 à Pestel. 

Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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